Éditorial : L’industrie du bien-être  – Est-ce que les détresses psychologiques sont la somatisation du capitalisme? 

0
Publicité
Crédit : Pinterest

Depuis la pandémie, on véhicule dans les médias que les jeunes adultes sont de plus en plus en situation de détresse psychologique. Moi-même étudiante en psychologie, j’ai voulu savoir si le tir était juste ou simplement du sensationnalisme. Force est de constater que ce malheureux phénomène est bien réel. La pandémie a très certainement empiré la situation, mais cette hausse de mal-être s’implantait graduellement quand même avant l’isolement créé par la COVID-19. En effet, on peut voir des articles qui décriaient ce phénomène même en 2018.

Augmentation des maux psychologiques 

On parle d’augmentation de symptômes liés aux troubles dépressifs ainsi que l’anxiété qui semble traverser les esprits de tous les jeunes adultes. De plus en plus de jeunes développent des troubles du sommeil, ce qui fait en sorte que plusieurs restent le plus longtemps possible au lit le matin, et se lèvent pour partir en cours ou travailler sans manger convenablement. Parce que oui, le café glacé n’est pas considéré comme un déjeuner équilibré (j’ai été aussi déçu que vous a l’annonce de cette triste nouvelle). Les chercheurs ont également noté une augmentation des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H).

Le grand manitou mondial, le grand Capitalisme, n’a pas manqué l’occasion de s’approprier un nouveau problème social. Et oui, après s’être penché sur la surconsommation qui est un vecteur dans les changements climatiques. Par exemple, en créant toutes les sortes de bouteilles d’eau réutilisables à plus de 30$ ou en créant tous les produits dits écoresponsables inimaginables. C’est vrai, maintenant, on peut acheter en ligne 3 Cotons-Tiges et 5 tampons démaquillants réutilisables pour 45$ et se les faire livrer dans un paquet de plusieurs épaisseurs de plastique par un camion qui parcourt la moitié de la planète. Le Capitalisme s’est aussi approprié la cause des minorités sexuelles en produisant des milliers de produits afin que les consommateurs montrent leur soutien à la communauté LGBTQ2A+. La fierté n’est dorénavant plus une manifestation pacifiste, mais plutôt un gros événement, un gros party.

L’industrie du bien-être

L’une des nouvelles créations, qui n’est pas si nouvelle, est l’industrie du bien-être. Oui, le terme industrie n’est pas peu dire. Peu importe votre genre et votre âge, vous avez probablement vu des annonces de toutes sortes de produits miraculeux pour « prendre soin de vous » simplement « parce que vous le méritez ». Que ce soit des gélules de vitamine, des crèmes, des suppléments alimentaires, des bidules pour masser, des programmes d’exercice, des sérums de jeunesse et j’en passe.

Une nouvelle tendance sur les réseaux sociaux a également fait sa place, celle de présenter sa routine de soins de beauté ou encore sa routine de détente. On peut donc apercevoir sur TikTok, Instagram ou Facebook des influenceurs en train de se filmer à mettre des crèmes et des nettoyants pour le visage, pour ensuite aller dans la douche et appliquer environ le même nombre de crèmes et d’exfoliants pour finalement aller dans son lit, mettre un masque de beauté, allumer une bougie et écrire dans un journal intime.

Bien entendu, plusieurs d’entre eux font des partenariats avec les produits qu’ils montrent dans leur vidéo, mais ne le diront pas. Ce qui raisonne lorsque je vois ce genre de vidéo, c’est un message clair. Le Capitalisme nous dit voici la bonne façon de prendre soin de vous. C’est important d’acheter de bons produits, nos bons produits, afin que vous vous sentiez bien.

Il y a également plusieurs dérivés de cette mode, par exemple avec la routine de ménage, la routine du dimanche, la routine après avoir eu une grosse journée, la routine après le sport, etc. Ainsi, pour chaque moment de répit qu’un humain peut avoir dans sa journée, il existe un influenceur qui partage sa routine et nous montre à quel point nous ne sommes pas productifs dans notre détente.

Nous, la génération Z et les milléniaux, sommes des générations qui militent pour l’importance de la santé mentale. Très honnêtement, c’est tout à notre honneur. Bien entendu, il y a de l’argent à faire avec cela. On voit émerger sur les réseaux sociaux, encore une fois, des personnes avec une expertise jamais claire et qui se présente comme une coach de vie, une motivatrice, une accompagnatrice, une guide, une coach en développement personnel, et bien plus encore ! Ces personnes martèlent qui est primordial de prendre le temps de prendre soin de soi. Elles vantent les mérites du sport, du yoga, de la bonne alimentation ou des moments seuls.

À première vue, c’est positif, mais le problème, c’est qu’il n’y a aucune modération, tellement que ça peut facilement devenir une obsession. Au point de se sentir coupable de ne pas prendre le temps de prendre soin de nous. L’autre problème, c’est qu’on présente juste une façon de prendre soin de soi, celle énumérée plus haut. Très fort le Capitalisme, tu as réussi à inscrire la notion de productivité dans la détente. Très fort. Tu es un véritable génie; créer une société de productivité qui rend l’humanité malade pour ensuite lui vendre l’antidote antistress, très très fort.

Crédit illustration : FreePik

Le vol de la fatigue

Depuis la Révolution industrielle, l’humanité est plongée, voire noyée, dans une cadence infernale. L’épuisement physique et mental est un phénomène qui touche presque tout le monde. Je pense que le Capitalisme nous a volé la dernière chose qui nous restait, notre fatigue. Dans une entrevue, le docteur en philosophie Floriant Gaité explique qu’ « on vit dans une société où la fatigue est complètement culpabilisée. On ne nous donne pas les moyens de nous ennuyer et de nous fatiguer correctement sans que cela ne réponde à un paradigme de la productivité. Il faut se répéter cela contre la doxa des sociétés capitalistes. L’expérience de la fatigue a d’irremplaçable qu’elle négocie avec la vacuité. »

Je vous rappelle que la fatigue est un état, qui est lui aussi est une expérience en soi. C’est « l’expérience d’une phénoménologie de la lourdeur de l’existence. » C’est l’esprit qui se déconnecte d’une certaine manière au reste du corps. Le Capitalisme nous fait comprendre qu’il faut contrer ces symptômes, que ceux-ci sont nécessairement négatifs, alors qu’au contraire, la fatigue peut être révélatrice. Bref, ne prenons plus le temps de vivre notre fatigue, qui elle est teintée des signes précurseurs de la détresse psychologique.

Sources:

https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-003-x/2020012/article/00002-fra.htm

https://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwip2ayl1OmBAxXMGVkFHXNBCjEQFnoECBUQAQ&url=https%3A%2F%2Fici.radio-canada.ca%2Fohdio%2Fpremiere%2Femissions%2Fpenelope%2Fsegments%2Fentrevue%2F440794%2Fsante-mentale-physique-pseudoscience-dangers-derives&usg=AOvVaw3mlwUhSj_zQUP5gsyTjFv0&opi=89978449 

https://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwja5PC91OmBAxXjEFkFHbaRBbA4ChAWegQICRAB&url=https%3A%2F%2Fwww.lapresse.ca%2Fcontexte%2F2022-01-23%2Fcovid-19%2Fquand-l-industrie-du-bien-etre-sombre-dans-le-complotisme.php&usg=AOvVaw3aUEFE73odcodOeapBL4uZ&opi=89978449 

https://doi.org/10.4000/anthropologiesante.805

https://www.lepoint.fr/stories/le-marche-du-bien-etre-toujours-en-plein-essor-02-12-2022-2500207_3919.php#11

https://www.economie.gouv.qc.ca/objectifs/informer/vecteurs/vecteurs-economie-et-innovation-detail/lindustrie-du-bien-etre-de-nos-jours

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/comme-un-bruit-qui-court/industrie-du-bonheur-souffrance-au-travail-les-deux-faces-de-la-start-up-nation-4252080

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-grande-table-idees/heureux-qui-comme-moi-je-9069919

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/affaire-en-cours/comment-le-capitalisme-vole-notre-fatigue-et-comment-la-danse-y-remedie-7121801

https://www.bnf.fr/fr/agenda/la-philosophie-de-la-fatigue

REPONDRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici