Le Québec une page à la fois: La douleur de la vie

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Photo: Judith Éthier
Photo: Mathieu Plante 

Ce n’est que dernièrement, un peu par obligation, que j’ai eu à ouvrir ces pages. Avec un début de rhume de printemps, les yeux gonflés et le nez complètement bouché, j’ai donc entamé cette lecture qui se révéla étonnante. On ne s’attend pas à ce genre d’histoire, écrite de cette manière.

«Ça fait mal dans la tête, la vie.» Dès la première page, cette phrase vient donner le ton au roman d’Anne Guilbault. Elle convainc le lecteur que ce qui suit ne sera pas de tout repos. Psychologiquement du moins.

L’auteure, originaire de Québec, a déjà fait paraitre plusieurs titres. Son dernier roman, Pas de deux, publié en 2016 par les Éditions XYZ, a été très bien accueilli par la critique. Tout comme celui qui le précédait, Les Métamorphoses, classé par La Presse parmi les meilleurs romans publiés en 2015.

Ce serait si facile de lâcher prise, de laisser ses doigts se détacher de leur prise et de laisser le courant l’emporter.

Anne Guilbault n’a pas l’habitude des histoires à longue haleine. Elle préfère s’imprégner de ses personnages et leur laisser le temps de prendre vie à travers les mots qu’elle prend soin de bien choisir, avec une lente minutie. C’est ce qui rend ses œuvres aussi impressionnantes.

En quête de souvenirs…

L’écriture de ce court roman est d’une profondeur si captivante que l’on se prend facilement au jeu du personnage, découvrant avec lui les souvenirs oubliés de sa jeunesse perdue. Car c’est ce que le narrateur anonyme cherchera à faire tout au long du roman. Ayant perdu sa voix et sa mémoire à cause d’un traumatisme dans des circonstances tragiques que l’on ne connait pas, c’est dans son esprit troublé qu’il nous transporte.

Il cherche à se souvenir d’«avant», alors qu’il vivait en parfaite fusion avec sa sœur, avant sa disparition. Il veut la retrouver. Retrouver la personne qu’elle était auprès de lui, physiquement et mentalement. Mais on se rend bien compte au fil de la lecture que cette mission parait de plus en plus impossible. Le narrateur poursuit néanmoins sa quête de tous ces morceaux brisés en lui, de tous ces objets qu’il voit et qui lui rappellent sa sœur.

Après s’être échappé de l’hôpital psychiatrique où l’on voulait le soigner et l’aider à retrouver la mémoire, il cherche Georgie dans la ville, immense et dangereuse, où les raz-de-marée et les gens l’engloutissent, lui qui est si petit et qui pourrait se noyer et disparaitre à tout moment. Ce serait si facile de lâcher prise, de laisser ses doigts se détacher de leur prise et laisser le courant l’emporter. Mais il résiste. Pour elle.

C’est un peu le processus de la remémoration qui est décrit dans ce court roman de 102 pages. Le jeune narrateur raconte tout ce qui se passe dans sa tête, dans son esprit un peu fêlé. Il passe de l’«avant» à l’«après» au fur et à mesure qu’il avance. D’un souvenir à l’autre, il nous présente sa quête impossible. Jusqu’à ce que «retrouver» Georgie soit moins important que la «chercher». C’est le processus de recherche, le travail intérieur qu’il effectue qui importent, tout autant que son apprentissage de la vie solitaire qu’il doit désormais vivre. C’est ça son nouveau but.

… ou en quête de fragments

De la même manière que le personnage retrouve petit à petit ses souvenirs, le lecteur comprend par à-coup l’histoire qu’il est en train de lire. Ce n’est pas chose aisée que d’entrer dans l’esprit tourmenté d’un jeune homme bouleversé et perdu au sein d’une ville qu’il a pourtant sillonnée de nombreuses fois avec sa sœur.

À travers les paroles du narrateur, on voit celles de l’enfant qui ne veut point grandir, qui ne veut pas quitter le confort et la sécurité que sa sœur lui procure. En raison de son anonymat, on comprend qu’il recherche son identité en même temps que celle de sa compagne. Comme s’il ne pouvait vivre qu’à travers elle.

«Ça fait mal dans la tête, la vie.»

Lors d’une entrevue donnée au journal Le Soleil en 2009, juste après la sortie du roman, Anne Guilbault confia qu’elle «essaye toujours de trouver le réflexe de survie chez [ses] personnages. [Elle] trouve touchant de voir que l’humain peut souffrir et rebondir. Tout n’est pas toujours noir!»

C’est vrai qu’après avoir connu l’échec, la chute et la détresse, l’être humain, homme ou femme, réussit toujours à se relever. Mû par une sorte d’instinct de survie, on ne peut pas rester à terre éternellement. Même la joie peut faire mal. Elle peut mener à une chute destructrice, comme elle peut sauver celui qui est tombé. C’est de cette façon que le jeune narrateur retrouvera un peu de sa joie perdue; à travers les souvenirs d’une joie passée, laissant présager des jours plus heureux.

Avec cette fin de session qui nous touche tous, nous étudiants, et qui approche très rapidement, je ne peux m’empêcher de penser que malgré les difficultés, les échecs et les nuits blanches, on va quand même finir par s’en sortir. Parce qu’on s’en sort toujours.

«Pas de deux», d’Anne Guilbeault. Photo: Éditions XYZ
«Pas de deux», d’Anne Guilbeault. Photo: Éditions XYZ

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