
L’Écon’homme, c’est une dose hebdomadaire d’économie, souvent tirée de l’actualité ou de vos recommandations. Aujourd’hui, c’est plus cette première qui m’a inspiré. En effet, lors du lancement de la bière de session, mercredi le 30 octobre, ayant eu lieu à la Chasse-Galerie, j’ai été frappé. Premièrement par une bière de qualité (on a tous de petits péchés mignons), mais aussi par la symbolique de l’événement et de la bière.
Alors que plusieurs y voyaient un projet étudiant dans son plus simple apparat, j’y ai plutôt vu un bel exemple d’économie circulaire et d’entrepreneuriat, deux concepts repris en économie par bien des penseurs et professionnels du milieu. Pour ce qui est des détails techniques concernant la bière et le concept, je vous réfère au travail de ma collègue Laura Lafrance, qui décrit bien le concept du projet dans son article paru il y a peu. Pour ma part, je me concentrerai sur les concepts économiques entourant le tout, soit l’économie circulaire et l’entreprenariat.
L’économie circulaire est un concept bien flou que beaucoup voient comme vertueux. En fait, cette pratique qu’est l’économie circulaire repose sur un principe de base : les déchets des uns, sont le bonheur des autres. Par exemple, les brasseurs peuvent vendre leur drèche (déchet de brassage de la bière) à des agriculteurs qui en nourrissent leurs troupeaux ; on assiste donc à une revalorisation des déchets de production, l’économie circulaire. Dans une essence plus théorique, le terme économie circulaire vient du fait que la production n’est plus une fin en soi.
La circularité mène à un processus sans début ni fin ; est-ce la vache qui se nourrit pour ensuite déféquer pour fertiliser les champs et ainsi produire le houblon? Est-ce le houblon qui débute ce même cycle pour terminer par sa défécation? La fin du processus n’est pas définie, car on vit un cycle et non un processus fini. C’est ça, l’économie circulaire! Dans le cas présent, on vit de l’économie circulaire, car les étudiants boivent la bière, ce qui a mené à l’intérêt des brasseurs de les soutenir dans leur études en produisant une bière entrepreneuriale, ce qui poussera plus d’étudiants à boire leur bière et le cycle s’en suit! C’est les consommateurs qui s’approprient le produit et vice-versa, circularité!
De plus, comme la présence du Carrefour d’Entreprenariat le souligne bien, cette bière est à saveur entrepreneuriale. L’entreprenariat a longtemps été oublié des économistes, ce n’est qu’au début du 20e siècle, avec l’arrivée de Joseph Schumpeter, économiste autrichien, et son ouvrage la Théorie de l’évolution économique, que l’on commence à s’y intéresser. Schumpeter placera l’entrepreneur comme un héros de l’évolution économique, notamment via le concept de «création destructrice» que j’ai expliqué dans ma dernière chronique.
Schumpeter sera le premier à placer l’innovation entreprenariale comme moteur de la croissance économique. Pour lui, la croissance de la production ne donnait rien, sinon un changement de volume, l’innovation permettait un changement au niveau de la qualité, ce qui est bien plus structurant. Ce n’est pas étranger au contexte dans lequel évolue Schumpeter : une lourde tendance entrepreneuriale s’installe au début du 20e siècle, notamment avec Henri Ford qui crée son modèle T en 1906, premier modèle de voiture réellement abordable, bouleversant le marché automobile au grand complet.
De plus, on a découvert que les cycles économiques sont partiellement influés par l’entreprenariat et sa variation. Parmi les différents types de cycles (Kondratieff, Juglar et Kitchin), ce sont les cycles de Kitchin qui sont influés par l’entreprenariat et sa variation dans le temps. Les cycles de Kitchin, venant de l’économiste Joseph Kitchin, statisticien du 19e siècle, sont d’une durée d’environ 40 mois et sont les plus courts cycles économiques identifiés. Sur une période de 40 mois (3 ans et demi), il est prouvé que les entrepreneurs et nouvelles idées s’essoufflent, ainsi les entreprises ferment leur portes, ce qui réduit l’activité économique. Cela nous ramène toujours à la même idée : ces entrepreneurs et leur employés perdant leurs emplois, coupent brutalement dans leurs dépenses, causant un ralentissement de l’activité économique des entreprises chez qui ils achetaient et ainsi de suite, se répandant dans l’économie québécoise et canadienne rapidement, faisant effet boule de neige. En économie, tout est réseau, tout est lié.
Ainsi, l’entreprenariat et l’innovation par l’économie circulaire sont très importants et très positifs, et c’est en bonne partie ce que représentait selon moi le lancement de la Bière de Session. Entrepreneuriat et économie sont très liés, pourtant souvent séparés par la frontière entre les sciences de la gestion et les sciences sociales. Pourtant, tant l’économie que l’entreprenariat sont des histoires d’humains ayant des activités commerciales. D’ailleurs, pour y avoir goûté, cette bière n’est pas seulement intéressante économiquement parlant, mais aussi un plaisir gastronomique en elle-même. Félicitations aux étudiants-brasseurs, au Temps d’une Pinte et au Centre d’Entreprenariat et d’Innovation de l’UQTR (CEI) pour ce projet fort intéressant!