
Novembre c’est l’insomnie, des arbres moches, le retour de la grippe, un album dépressif des Colocs. Comment ne pas succomber à cette grande noirceur? Heiterkeit!
Si vous ne comprenez pas, c’est normal, c’est de l’allemand (langue que je ne maîtrise aucunement). Le concept d’Heiterkeit nous provient du philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900) et que l’on traduit par la grande santé. Comment se définit-elle et que peut-elle nous apporter en ce mois ténébreux d’octobre?
P.s. Je ne présente ici que ma très humble interprétation d’une œuvre plus que colossale.
Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort
«Nous autres qui sommes nouveaux, sans nom, difficiles à comprendre, nous autre prémices d’un avenir encore incertain – nous avons besoin pour un nouveau but d’un moyen également nouveau, c’est-à-dire d’une nouvelle santé, plus vigoureuse, plus maligne, plus tenace, plus téméraire, plus joyeuse que ne le fût toute santé jusqu’alors.»
F. Nietzsche, GS, V, a382
Le philosophe allemand connaissait bien la grisaille de la vie. Dès son plus jeune âge, il fut victime de problèmes de santé physique et psychologique qui le suivirent toute sa vie durant. Il dut alors s’adonner à une diète stricte et à de longs moments de convalescences. Trop malade, en perte d’autonomie grandissante, il finit ses jours pris en charge par sa mère et sa sœur.
Dans un monde instable où tout semble foutre le camp, Nietzsche nous invite à revoir nos valeurs. Il faut comprendre ici le sens du mot valeur, comme étant les actions que nous posons pour atteindre notre idéal. C’est la vie, en soi et en nous, qui doit devenir cet idéal suprême. Nos actions doivent alors encourager, exacerber cet élan vital. C’est donc dire que notre bonheur doit prendre forme dans notre soif de vivre, nonobstant notre situation.
Notre bonheur doit prendre forme dans notre soif de vivre
Le mois de novembre, la maladie, la dépression, les injustices nous font sentir vulnérable et impuissant.e. La douleur est ainsi source de connaissance. Elle nous permet d’en apprendre plus sur les autres et nous-mêmes. C’est peut-être là le vrai sens de la phrase «Ce qui ne me fait pas mourir me rend plus fort.» (F. Nietzsche, CI, Maximes et flèches, § 8, p. 108)
Sans musique, la vie serait une erreur
Bien que la grande santé nous permet de trouver un sens dans notre douleur, elle nous invite aussi à l’oublier. D’abord, par la légèreté, par l’art et à travers toutes nos pulsions qui exacerbent la vie en nous. « Sans musique la vie serait une erreur », dit Nietzsche dans son Crépuscule des idoles. Profitons donc des petits plaisirs spontanés que nous offre chaque jour.
Par conséquent, apprécions plus les moments passés entourés d’ami.e.s, ou même seul, à manger ou à danser. Le philosophe s’oppose ainsi à une vision ascétique, qui selon lui, dévaluerait la vie. Par contre, il nous met en garde des excès qui pourrait nous éloigner de cette grande santé.
Ensuite, «tout acte exige l’oubli.» L’oubli en lui-même est un agent essentiel pour être heureux, nous apprend-il:
«Dans le plus petit comme dans le plus grand bonheur, il y a quelque chose qui fait que le bonheur est un bonheur : la possibilité d’oublier, ou pour le dire en termes plus savants, la faculté de sentir les choses, aussi longtemps que dure le bonheur, en dehors de toute perspective historique. L’homme qui est incapable de s’asseoir au seuil de l’instant en oubliant tous les événements du passé, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur, se dresser un instant tout debout, comme une victoire, ne saura jamais ce qu’est un bonheur et, ce qui est pire, il ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres.»
F. Nietzsche, Considérations Inactuelles
Pour être heureux, en ce mois de novembre, aiguisons notre curiosité. Apprenons à mieux nous connaître dans ces moments plus difficiles. Et quand le poids du passé devient trop lourd, arrêtons simplement de ruminer en oubliant ce qui a été et sera. Puis, profitons de chaque moment pour jouer, rire et danser, telle l’étoile.
Liens et ouvrage qui m’ont été utiles
- F. Nietzsche, Considérations Inactuelles (1873)
- F. Nietzsche, Crépuscule des Idoles (1889)
- F. Nietzsche, Le Gay Savoir (1882)
- F. Nietzsche, La Généalogie de la Morale (1887)
- https://www.cairn.info/revue-lignes1-2002-1-page-263.htm#
- Alexandre Jollien, La Sagesse Espiègle (2019)