Le gaspillage alimentaire se présente dans plusieurs branches de notre système bioalimentaire. Chaque semaine, d’énormes bennes partent pour les dépotoirs ou dans certains cas, dans les mains du déchétarisme. Qu’arrive-t-il à notre nourriture ? Cette chronique survolera l’ampleur du gaspillage alimentaire, racontera mon expérience comme commis d’épicerie et plongeur de bennes. L’intention derrière le texte vise le questionnement sur notre système bioalimentaire.
Les aliments comestibles perdus ou gaspillés (ACPG)
Quand je parle de gaspillage alimentaire, je fais référence à « toute partie comestible d’un aliment destiné à la consommation humaine qui est détournée, dégradée, perdue ou jetée à n’importe quelle étape du système bioalimentaire. »1 Au Québec, en 2019, 7,5 millions de tonnes de denrées entraient dans le système bioalimentaire ; 3,1 millions de tonnes se voyaient jetées, dont les ACPG représentaient 39% de ce chiffre (1,2 million). Le gaspillage se fait à tous les niveaux du système bioalimentaire (voir les éléments encadrés sur l’image), mais je parlerai seulement de celui se faisant au niveau de la distribution.
La petite épicerie
J’ai fait mes six premières années de travail dans une épicerie familiale. On s’obsédait avec le comportement de faire la « rotation » : chaque nouvel aliment doit se trouver derrière l’ancien pour limiter les chances que la date de péremption arrive à terme. Ça concerne aussi la montagne de conserves qui expirait sa date de vie cinq ans plus tard. La propriétaire, ma grand-mère, reprenait tout ce qui pouvait être transformé ou entreposé pour ne rien jeter. La base de son alimentation se constituait de produit « passé date ». À son insu, je la surnommais « l’experte du cannage ». Je me demandais pourquoi elle se donnait tant de mal à sauver la nourriture, puis j’ai su en changeant de milieu, comment le gaspillage alimentaire s’incarnait.
Je me demandais pourquoi elle se donnait tant de mal à sauver la nourriture, puis j’ai su en changeant de milieu.
Plonger dans les grandes épiceries
Par les mots suivants, je ne désire pas généraliser à toutes les chaines de distribution ; je respecte celles conscientes de leur empreinte écologique. J’ai travaillé dans trois autres épiceries en trois ans. Elles prenaient plus de place que celle de ma grand-mère. Le capitalisme guidait leur conduite : des prix plus élevés et le moins d’employés possible pour le plus grand travail effectué. Tantôt, on nous ordonnait de travailler vite, tantôt de faire la « rotation ». On ne la faisait plus. Je tombais sur des conserves périmées de cinq ans, malgré leur durée de vie théorique aussi longue. Ça faisait dix ans que cette sauce à la canneberge s’impatientait sur son étagère. Je voyais des charriots entiers de bananes, pêches, pommes, poires et raisins se faire lancer dans le compacteur. Ces machines géantes écrasent la nourriture jusqu’à l’état de jus : un mélange odorant d’ordures. On les retrouve dans la majorité des grandes épiceries actuelles.
Je voyais des charriots entiers de bananes, pêches, pommes, poires et raisins se faire lancer dans le compacteur.
Je me questionnais sur la raison de détruire plutôt que de donner. Mon ancien gérant me disait que les profits se perdaient quand la nourriture des épiceries se faisait donner, puisque les clients en achetaient moins quand ils en possèdent plus. Également, ces trois grandes épiceries ne donnaient pas aux organismes communautaires, puisque ça comprenait le fait de payer des employés pour gérer les dons.
Dans certains cas, les grandes épiceries ne possèdent pas un compacteur et jettent leur produit à la poubelle ou au composte. Par la suite, le « dumpster diving » (plonger dans les bennes), aussi, appelé déchétarisme, entre en jeu.
Manger le gaspillage alimentaire
Loin d’être un spécialiste, j’imagine que le déchétarisme existe depuis aussi longtemps que les biens se gaspillent. Or, le contexte actuel de la montée des prix, de la gestion des déchets et des changements climatiques rend cette activité plus que pertinente. D’un point de vue légal, l’accès aux déchets demeure permis tant qu’il ne nécessite pas d’entrer par infraction.2 Je m’étonnerais à voir la police refuser l’accès à une personne dans le besoin et qui cherche parmi les aliments jetés.
Je n’ai jamais autant bien mangé depuis que je participe au déchétarisme : les fruits et légumes (parfois biologiques) se présentent à profusion ; bien qu’on y retrouve du pain, des desserts, du lait, du jus… Je dirais que le point essentiel pour la sécurité de l’estomac repose dans nos sens : sentir, toucher et regarder la qualité de l’aliment. La majorité des aliments trouvés se situent quelques jours devant leur date de péremption ou possèdent de petites imperfections. En cas de doute si je trouve une grande quantité d’un produit, je consulte les avis de rappels d’aliments. Mes explications se complètent avec ces trois « règles » du déchétarisme : prendre seulement ce que nous allons manger, quitter l’endroit de collecte dans un même ou meilleur état qu’à l’arrivée et avoir du plaisir. Je prends le déchétarisme comme un jeu ; pourtant une partie de moi se demande toujours : quelles actions la population, le gouvernement, les épiceries et les autres maillons des chaines d’alimentation peuvent-ils mettre en place pour prévenir le problème ?
Références :
1. RECYC-QUÉBEC (2022). Étude de quantification des pertes et gaspillage alimentaires.
2. Gallant, L. (2016, mai 2). Faire son épicerie dans les poubelles. Récupéré sur Radio-Canada: https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/778750/poubelles-dumpsters-dechetarisme-epicerie-rimouski