OPINION: La Déclaration des droits de l’homme a 65 ans ― Devrions-nous l’envoyer à la retraite? À la casse?

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Auteur : Normand Leclerc, Université du troisième âge

Les droits de l’homme ont été solennellement proclamés, en France, en 1789, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Déclaration qui négligeait volontairement la moitié de l’humanité. Je me demande ce que les hommes auraient pensé et dit si le Parlement français avait décrété la Déclaration des droits de la femme? Se seraient-ils sentis inclus? Laissés de côté? Quoi qu’il en soit, le 10 décembre 1948, les Nations-Unies ont marqué une nouvelle étape de l’histoire des droits de l’homme en proclamant une nouvelle Déclaration et en lui conférant une valeur universelle, c’est-à-dire que ces droits étaient valables non plus seulement pour la France, mais pour tous les peuples, et non seulement pour les hommes, mais pour les femmes également. Devons-nous nous arrêter là et considérer que le dernier mot des droits de l’être humain a été dit? Ou devons-nous continuer à évoluer?

Un bond en avant. Je reconnais que, par rapport à ce qui existait auparavant, la Déclaration constituait un bond en avant. Qu’y avait-il avant 1789? Le droit divin. Le roi régnait de par la volonté de Dieu. Ce droit divin s’étendait à toute la hiérarchie (religieuse et laïque) et leur valait de nombreux privilèges, dont celui de ne pas payer d’impôts. Quant au peuple, il ne lui restait plus que le droit de balbutier un amen rempli de soumission. C’est ce vivre-ensemble injuste qui faisait dire à Marat, 25 ans avant la Révolution française: «Il faut faire connaitre au peuple ses droits et l’engager à les revendiquer; il faut lui mettre les armes à la main, se saisir dans tout le royaume des petits tyrans qui tiennent opprimé, renverser l’édifice monstrueux de notre gouvernement, en établir un nouveau sur une base équitable. Les gens qui croient que le reste du genre humain est fait pour servir à leur bien-être n’approuveront pas sans doute ce remède, mais ce n’est pas eux qu’il faut consulter; il s’agit de dédommager tout un peuple de l’injustice de ses oppresseurs.» Cependant, il est utile de se rappeler que la Déclaration, même si elle constitue un bond en avant pour les individus, pour le peuple, a été contestée par de nombreux auteurs (aristocrates eux-mêmes… ou instruments des aristocrates?). Par exemple, Louis de Bonald (1754-1846) et Joseph de Maistre (1753-1840) manifestaient une farouche intransigeance contre les droits de l’homme: ils voulaient en revenir aux droits de Dieu.

Une société de droits?

Essentiellement, quel est l’avantage de la Déclaration? Elle nous fait passer d’une société où règne la force (par exemple, au Moyen âge, on coupait une main à un voleur) à une société où prime le droit (par exemple, le droit de chaque personne à son intégrité physique). Dans la nature, aucun animal n’a de droit. L’idée même de droit est impensable: il n’y a que des forces. Petit à petit, l’être humain a à s’humaniser et à faire triompher le droit. Au lieu de laisser parler la violence, les humains ont à s’humaniser dans leur vie personnelle et sociale. Sommes-nous parvenus à ce point d’humanité dans nos relations avec nos proches? Dans l’économie? La politique? Les sports? Etc.?

Critique des droits actuels.

Nous vivons dans une société qui se présente comme étant un État de droit, c’est-à-dire un État politique et juridique dans lequel nous accordons la suprématie au droit plutôt qu’à la force. Poudre aux yeux? Marx, en son temps, était d’avis que «la Déclaration des droits de l’homme était une mystification bourgeoise qui masque, derrière une prétendue égalité, la division des hommes.» Sans en faire un absolu, si nous pensons aux trois grandes valeurs prônées par la Révolution française, que sont-elles devenues dans nos sociétés? La liberté? Plus souvent qu’autrement, elle consiste en la liberté d’exploiter ses semblables. L’égalité? Est-elle virtuelle ou effective? De plus, l’égalité de tous devant la loi étant la première condition pour considérer que nous vivons dans un État de droit, quelqu’un peut-il soutenir cette idée? Qu’arrive-t-il si un pauvre se présente en cour contre un riche? Ce dernier n’est-il pas favorisé, ne serait-ce que parce qu’il peut se payer les meilleurs avocats… quand ce n’est pas le juge? Quant à la fraternité, notre société ne l’a-t-elle pas transformée en fraternité de requins? Loin de moi l’idée de critiquer tous les droits et d’affirmer qu’ils n’ont aucune valeur. Le peuple ayant joué un rôle important dans la Révolution française, il fallait bien lui accorder quelques concessions. Mais, nous pouvons constater que, quand l’être humain unidimensionnel parle de droit, il s’agit la plupart du temps de droit à la propriété, et que ce droit glisse imperceptiblement de la propriété personnelle… à la propriété des moyens de production. Les moyens de production étant vitaux pour l’humanité, ne devraient-ils pas appartenir à l’humanité? Le droit de propriété est-il absolu ou relatif?

Qu’est-ce qu’un droit?

Un droit consiste en une protection minimale contre l’arbitraire (des aristocrates dans le temps, étatique aujourd’hui). Un droit dessine une sorte d’espace inviolable. Le mot droit provient du bas latin directum et signifie «ce qui est juste». Si j’ai un droit, sauf cas d’urgence, personne ne doit m’empêcher d’en jouir. De plus en plus de gens sont conscients qu’ils ont des droits. À partir de là, ils reconnaissent que les autres en ont aussi… et pas seulement les gens de leur communauté, mais tous les êtres humains. En pratique, quels que soient le sexe, la race, la couleur de la peau, la religion, quand un humain vient à la vie, il possède tous les droits humains.

Deux droits indispensables. Quels sont les deux besoins fondamentaux de l’être humain? La bouffe et la baise, c’est-à-dire la nourriture et le sexe. Pourquoi ne pas inclure un droit au travail, activité indispensable pour se procurer non seulement la nourriture, mais tout ce qui est nécessaire à la survie? Pourquoi la Déclaration ne tient-elle aucun compte de nos droits sexuels? Le jour où nos deux principaux besoins seront reconnus comme entrainant des droits inaliénables, nous pourrons dire que nous jouissons de droits vraiment utiles pour notre survie et notre bonheur.

A: Droit au travail. Comment se fait-il que la Déclaration des droits de la personne accorde une telle importance au droit à la propriété et si peu au droit au travail? Je pense que, contrairement à ce que dit la propagande, il est bon de se rappeler que la Révolution française n’a pas été une révolution démocratique: elle n’a fait que remplacer une classe dominante (les aristocrates) par une autre (les bourgeois). Dans ce contexte, il n’est guère étonnant que la propriété et l’argent soient très bien protégés alors que le travail l’est si peu: le système joue en faveur des possédants contre ceux qui n’ont rien. Finalement, en économie, presque tout se ramène au chômage… tant il provoque un traumatisme chez ceux qui perdent leur emploi. Alors, la vraie question à se poser est: le travail est-il un droit naturel? Et la réponse est oui. Puisque c’est une question de vie, et même de survie, chaque personne y a droit. C’est le travail qui constitue la base de la qualité de vie du peuple. Le droit des individus au travail est donc le droit primordial d’une société libre.

B: Droit à l’épanouissement sexuel. Le droit au travail assurera notre survie, mais c’est, principalement, du droit à la sexualité que découlera notre joie de vivre. Avons-nous droit à la vie sexuelle aujourd’hui? Jusqu’à un certain point, oui. Un célèbre texte de l’ONU affirme même que nous avons droit à la santé sexuelle. En va-t-il ainsi en pratique? Avons-nous droit à la nudité? L’Église, au temps de sa quasi-toute-puissance, ayant fait passer ses tabous dans les textes de lois, si nous nous dévêtons, en quelque endroit que ce soit, nous avons toutes les chances d’entendre hurler les sirènes de la police… et de nous retrouver en cour pour outrage aux bonnes mœurs (celles de l’Église). Avons-nous le droit de nous toucher nous-mêmes (masturbation) sans ressentir la honte et la culpabilité que l’Église y a rattaché? De caresser une partenaire (consentante) sans que l’interdit de l’Église sur le toucher allume une lumière rouge entre nos deux oreilles? De choisir une partenaire en dehors du couple (modèle chrétien monogame et fidèle oblige jusque dans la cohabitation) sans sentir une odeur de trahison? Avons-nous droit au choix de genre (hétéro, homo, bi) sans sentir un jugement négatif qui provient de la Bible? Avons-nous droit à une éducation sexuelle de qualité? Le jour où tout être humain, quelles que soient ses caractéristiques, pourra jouir de ces droits, nous pourrons dire que nous sommes devenus adultes sexuellement parlant et que nous jouissons d’une certaine liberté sexuelle, tout en respectant la liberté des autres.

Des devoirs?

Les premières chartes des droits ont été faites par des gens qui en avaient assez de vivre comme s’ils n’avaient que des devoirs… les devoirs étant entendus comme ce que les autres réclamaient d’eux. Une fois l’abus corrigé, il faut prendre conscience que chaque être humain a des droits, mais aussi des devoirs. Souvent, l’endroit de l’un est l’envers de l’autre. Je veux parler, en tout premier lieu, des devoirs envers soi-même. Par exemple, j’ai droit au bonheur, j’ai également le devoir d’être heureux. J’ai le droit de connaitre, mais aussi le devoir. Etc.

Nul être humain n’a, par nature, plus de droits qu’une autre personne. Aujourd’hui, on parle des droits de l’homme comme s’ils allaient de soi: tout le monde est pour, du moins en théorie, tant que cela n’engage pas à grand-chose. Pourtant, en ce début du 21e siècle, ils sont violés dans la plupart des pays, même si de belles Constitutions les reconnaissent comme le fondement des sociétés civilisées. Mais que vaut un droit s’il n’est que théorique? Qu’apporte au malade qu’on ne soigne pas le droit à la santé? Une sérieuse réflexion s’impose pour prendre conscience que tout être humain, parce qu’il est humain, possède des droits et que ces droits doivent être respectés partout sur la planète.

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