Août 2006, Antoine Désilets est au bâton pour les Aigles de Trois-Rivières du circuit Junior Élite, au stade Fernand-Bédard. Il expédie la balle de l’autre côté de la clôture. Il court sur chacun des trois buts avec une démarche de conquérant. Il est fier. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Celui qui vient d’ajouter les points produits par son grand frère sur le tableau indicateur du champ centre a lui aussi beaucoup de difficulté à contenir ses émotions. Francis rêvasse en voyant son frère aîné revenir vers l’abri de son équipe. Parions qu’à l’époque, Francis Désilets était loin de se douter que lui aussi soulèverait un jour cette foule trifluvienne.
C’est ce qui est arrivé, dimanche dernier, alors que la formation professionnelle des Aigles de Trois-Rivières affrontait les Champions d’Ottawa. Les rôles étaient inversés, le flambeau avait été passé et tendu bien haut. C’était au tour de Francis de briller.
Voici un retour sur le parcours atypique et inspirant du nouveau voltigeur des Aigles de la Ligue Can-Am, Francis Désilets, avec qui nous avons eu le plaisir de s’entretenir.
Grandir dans le monde du baseball
Dès son plus jeune âge, Francis a gravité autour du baseball, à Trois-Rivières. Ses frères aînés lui auront certainement tracé le chemin. Il ne lui restait qu’à le suivre. Lorsqu’Antoine, son grand frère, s’alignait chez les Aigles Junior Élite, Francis était âgé d’une dizaine d’année et travaillait au stade, principalement au tableau indicateur. Si les autres jeunes garçons de son âge passaient les joutes des Aigles à courir les fausses balles ou à marchander les friandises, lui restait concentré, attentif. Il analysait chacun des jeux avec une candeur infantile et une logique impressionnante. Déjà à cet âge, une profonde passion pour les fondements du baseball et un côté stratégique l’habitait.
Au fil des ans, Francis a gravi les échelons du baseball mineur à Trois-Rivières. Durant son parcours scolaire au primaire, il jouait au baseball civil dans des catégories plutôt compétitives. Comme il le mentionne, par contre, « à ce moment-là, le baseball n’était encore pour moi qu’un loisir ».
Francis a passé les cinq années de son secondaire à l’Académie des Estacades, où sa mère enseignait. Étudiant en sports études, au sein de l’option baseball, Francis reconnait que ces cinq années lui auront permis d’acquérir beaucoup d’aptitudes autant sur le plan sportif que sur le plan humain. Quand est venu le temps, pour Francis, d’entamer sa deuxième année au niveau bantam, l’adolescent a réussi à percer la formation midget AAA des Estacades à quinze ans plutôt qu’à seize comme le veut habituellement cette structure intégrée.
C’est d’ailleurs ce tour de force qui a fait écarquiller bien des yeux autour de lui. Le jeune homme de Saint-Maurice venait de se faire un nom, pour la première fois dans la région. Lors des années qui ont suivi, Francis a fait tourner bien des têtes tout en gardant la sienne haute et fixée sur les objectifs qui prenaient lentement de plus en plus forme dans son esprit et ses ambitions devenaient de plus en plus concrètes.
Déjà à cet âge, une profonde passion pour les fondements du baseball et un côté stratégique l’habitait.
Ce séjour avec les Estacades a été très salutaire sur le plan sportif, pour Francis. « Dans tout ce que j’ai traversé, je dirais que cette saison-là a été l’une des plus marquantes, pour moi », déclare-t-il. C’est durant cette saison que l’adolescent s’est forgé le caractère qu’il l’aura aidé à traverser les épreuves ultérieures. « Avant d’entrer dans cette équipe, j’avais beaucoup de difficulté à accepter l’échec et je me mettais beaucoup de pression », mentionne Francis, avec beaucoup d’humilité. Parions que ce trait de caractère aura été la prémisse de toute la résilience dont fera preuve Francis, lors des années subséquentes.
Le voltigeur s’alignera donc dans avec les Estacades, durant deux ans, avant d’aller jouer, à 17 ans, avec les Ailes du Québec, une formation réunissant les meilleurs espoirs de la province. Avec cette formation, il a participé aux jeux du Québec, en 2010, ainsi qu’aux jeux du Canada, en 2013. Alors qu’il était encore d’âge mineur, Francis cumulait les expériences et remplissait son bagage. Bien entendu, comme il l’explique, plus le succès lui souriait, plus il voyait son rêve grandir et s’approcher. « Ce sont des moments dont je me rappellerai toute ma vie », mentionne-t-il, d’un ton mélancolique.
Quand est venu finalement le temps de faire le saut au niveau collégial, Francis a décidé de s’aligner avec les Dragons du Collège Laflèche, à Trois-Rivières. Bien entendu, qui disait baseball collégial disait aussi études collégiales. Francis s’est donc inscrit en sciences humaines, sans trop savoir si cela le mènerait quelque part. Il voyait davantage les opportunités lui sourire sur le tableau vert de son entraîneur plutôt que sur ceux blancs de ses professeurs.
Contrairement à sa moyenne académique, celle qu’il maintenait au bâton avec les Dragons était nettement au-dessus de la moyenne. Francis était dominant et dominé par son amour du baseball. Il consacrait beaucoup plus de temps à étudier des séquences offensives ou défensives que des œuvres de Voltaire ou de Zola. Ses performances ont étonné et ont traversé les frontières de telle façon qu’il a reçu, lors de sa deuxième saison, une bourse du Collège Clarendon, au Texas. Francis venait de réaliser l’un de ses rêves et d’en éveiller de nouveaux. Il irait jouer au Texas, aux États-Unis, là où le baseball est roi.
S’expatrier au Texas
Dès que nous avons discuté de son passage au Texas, le ton de Francis se modifia et est devenu plus nostalgique. « Au Texas, j’ai eu à m’adapter à un nouveau calibre, mais aussi à un nouveau milieu de vie. Je n’avais jamais vraiment quitté le nid familial et je devais m’exiler dans un endroit où je ne connaissais personne », a-t-il expliqué. Grâce à son amour pour le baseball, Francis a réussi à se démarquer même dans le vaste État américain. Dès sa première saison texane, Francis a confondu les sceptiques en se hissant quatrième de tout le pays pour le plus grand nombre de coups sûrs en une saison. Comme il le dit si bien, c’est ce bel accomplissement qui lui a appris à ne jamais douter de ses capacités.
Entre sa première et sa deuxième saison dans le baseball collégial américain, Francis, pour des raisons personnelles, a été contraint de rentrer au Québec et a raté quelques semaines d’étude et d’entraînement. Malheureusement, malgré une excellente deuxième saison, le retard qu’il avait cumulé, durant ces quelques mois d’absence, l’a empêché de s’entendre avec les universités américaines. « C’était dommage, car certaines universités de renom m’avaient fait de l’œil. Je savais que j’étais prêt à passer à ce niveau supérieur, mais un règlement administratif lié au réseau scolaire m’en empêchait. C’était très frustrant », résume-t-il.
Dès sa première saison texane, Francis a confondu les sceptiques en se hissant quatrième de tout le pays pour le plus grand nombre de coups sûrs en une saison
Malgré tout, l’humilité hors-norme du voltigeur se fait sentir au bout du fil quand il m’a confié qu’en prenant du recul, il avait peut-être manqué quelque peu de rigueur dans ses obligations académiques, obnubilé par le perfectionnement de sa frappe et de son lancer, mais qu’il était trop tard pour changer les choses, il devait regarder vers l’avant.
Désillusion sans désolation
Faute de signature universitaire, Francis s’est donc résilié à terminer son stage junior chez lui, dans l’environnement des Aigles de Trois-Rivières. Là où son frère était passé avant lui. Il a pris conscience que le baseball ne serait sans doute qu’un loisir dorénavant. Ses perspectives futures s’amenuisaient tandis que son amour pour le baseball ne faisait que grandir encore plus.
À 22 ans, l’an dernier, Francis a été le tout premier joueur à faire appeler son nom au repêchage de la Ligue de Baseball Majeur du Québec (LBMQ), par l’équipe de sa région, les Cascades de Shawinigan. Connaissant le niveau relevé du calibre, Francis n’était pas peu fier de voir la formation jeter sur lui son dévolu. « D’autant plus que la saison auparavant leur n’avait pas été très favorable, j’étais très fier de me voir attribuer comme défi d’aller aider l’équipe » ajoute-t-il.
Ses perspectives futures s’amenuisaient tandis que son amour pour le baseball ne faisait que grandir encore plus.
Même si, au moment d’écrire ces lignes, il n’a que cinq matchs au compteur avec les Cascades, le jeune homme de 23 ans mentionne qu’il ne s’est jamais autant épanoui, en jouant au baseball, qu’avec la formation de Shawinigan. « Les joueurs ont encore une passion commune qui les anime. Le sérieux règne dans ce vestiaire et l’ambiance y est excellente. J’ai même la chance de jouer avec quelques amis qui évoluaient avec moi dans le junior. Je pourrais difficilement demander mieux! », ajoute-t-il.
Francis prend plaisir dans son sport et vit pour lui, mais est bien conscient que ce dernier ne pourra jamais le faire vivre, paradoxalement. Employé chez Avantage Industriel, depuis deux ans, Francis songe à revenir sur les bancs d’école éventuellement. Parions qu’il considère quand même tout ce qu’il a pu vivre comme plus important que n’importe quel diplôme. Au lieu de voir ces années comme des années perdues, il y voit plutôt des années où il s’est trouvé et où il s’est découvert.
Le 9 juin 2019, l’appel de la vie
Nous avons conclu la discussion en revenant sur cette date qui aura marqué sa vie. Malgré le fait que la poussière soit retombée, l’émotion gagne encore sa voix, la rendant plus vive. Il m’en résume les grandes lignes et j’en viens à penser que même Réjean Tremblay n’aurait pas pu écrire tel scénario.
En matinée, Francis roulait de Saint-Mathias à Shawinigan, où les Cascades recevaient les Castors d’Acton Vale, dans le cadre d’un programme double de la LBMQ. En chemin, il a reçu le coup de téléphone qu’il n’attendait plus, celui de l’organisation professionnelle des Aigles de Trois-Rivières. « Dès qu’ils ont commencé à me parler à travers le combiné, je me suis mis à avoir les larmes aux yeux », nous confie-t-il. À la conclusion de l’appel, il ne fit ni une ni deux et reprit le chemin inverse vers Trois-Rivières, il serait sur le terrain du stade, dans l’uniforme de son enfance, quelques heures plus tard. Il en avait tellement rêvé qu’il n’en rêvait plus depuis longtemps.
Comme quoi le jeune homme est émotif, il prit même le temps de s’arrêter au domicile familial afin d’annoncer de vive voix à ses parents qu’ils devraient se diriger au Stade de la ville de Trois-Rivières s’ils voulaient le voir jouer dans l’après-midi. Bien entendu, les parents ont été touchés et émus aussi. Ils ont assisté à la première rencontre professionnelle de leur fils. Le rêve de bien des parents, le fruit d’une générosité sans borne et de beaucoup de sacrifices.
Lorsque nous avons parlé de sa performance en tant que telle, le jeune voltigeur est demeuré lucide, comme tous les professionnels qu’il avait côtoyés dimanche et qu’il côtoierait cet été. « J’étais confiant, je le suis toujours sur un terrain. Mon parcours m’a fait comprendre que je ne devais pas me laisser impressionner et c’est ce que j’ai fait dimanche », mentionne-t-il. Voyant davantage ce match comme un rêve plutôt que comme un défi, Francis ne voulait que savourer le moment. « J’avais les papillons dans les jambes à ma première présence au bâton, mais mon coup sûr d’entrée de jeu m’a fait gagner en confiance rapidement. Ensuite, je n’ai plus regardé derrière », résume-t-il.
En plus de son excellent rendement à l’offensive, Francis a aussi été l’auteur, grâce à un impressionnant relais du fond du champ droit, du dernier retrait de la rencontre, celui qui a permis aux Aigles de vaincre les Champions d’Ottawa en ce dimanche de juin. En inscrivant ce retrait, il venait aussi d’inscrire son nom dans l’histoire, dans les journaux trifluviens et dans l’alignement 2019 des Aigles de la Can-Am.
À la fin de la partie, je me rendis, avec d’autres médias, sur le terrain, où les joueurs s’adonnaient à une séance d’autographes avec de jeunes et moins jeunes partisan.e.s. Au travers tout ce beau monde, Francis se trouvait entouré de ses plus grands partisans, son père et sa mère. Toute la famille affichait un sentiment de fierté commun. À ce moment, Francis me confia qu’il ne saisissait pas encore ce qui venait de se produire. Comme quoi l’amour du baseball peut être très puissant : après avoir fait triompher les Aigles, alors qu’il était encore sur un nuage, Francis a sauté dans sa voiture pour suivre la 155 Nord vers Shawinigan. Il aurait le temps de prendre part à la deuxième rencontre du programme double entre les Cascades et les Castors d’Acton Vale. Lorsqu’il se présenta à la plaque pour la première fois, durant cette partie, les partisans l’ont honoré pendant un long moment. Qu’a-t-il fait pour les remercier? Il a poursuivi sur la lancée et il amorcé sa rencontre avec un coup de circuit. Encore une fois, Francis, comme la balle qu’il venait de frapper, avait outrepassé les barrières. Sincèrement, convenons-en, ça ne s’invente pas.